Industry research for large-scale sustainability
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08.02.2023

La nourriture du futur : du développement au panier d’achat

Les protéines font partie des principaux constituants d’une alimentation saine et équilibrée. La plupart des protéines consommées par l’être humain sont cependant d’origine animale, et leur production nécessite des ressources considérable. À quoi pourraient ressembler les alternatives ? Et quelles conditions doivent être réunies pour que les consommateurs adoptent les produits protéinés alternatifs ? Trois spécialistes se sont exprimés à ce sujet lors du Swiss-Food Talk.

Au cours des cinq dernières années, la recherche et le nombre d’entreprises actives dans le domaine des protéines de substitution ont littéralement explosé. Produire plus de protéines avec moins de ressources profiterait tant au climat qu’à l’environnement. Car la plupart des protéines qui sont consommées aujourd’hui proviennent d’animaux de rente. Mais sous nos latitudes, les substituts carnés peinent à s’imposer, pour des raisons culturelles surtout. Les consommateurs préfèrent acheter ce qu’ils connaissent. Quels produits ont le potentiel de quitter leur statut de niche pour s’imposer sur le marché ?

Inefficacité des protéines animales

Le Good Food Institute de Tel-Aviv est une organisation scientifique d’utilité publique qui s’est fixé pour but d’encourager la recherche et l’innovation dans le domaine des protéines alternatives en Israël. Aviv Oren, de l'Institut, commence par mettre le thème en perspective. Pourquoi devrions-nous nous intéresser aux protéines alternatives ? « Le calcul est simple », répond-il. Dans le monde, 30% des terres sont destinées à l’agriculture. Et 70% des terres agricoles servent aujourd’hui à nourrir les animaux de rente. Selon des prévisions de la FAO, la demande en produits d’origine animale doublera dans les décennies à venir. « Il n’y a pas assez de terres pour couvrir cette demande en produits carnés et laitiers », relève Aviv Oren. D’où la nécessité de produire les protéines autrement.

« La production de protéines animales est très inefficace. Pour obtenir une seule calorie d’un bœuf, il faut apporter 34 calories à l’animal », explique Oren. Ce qui a des répercussions négatives sur des ressources naturelles comme l’eau et le sol. De plus, du fait des émissions de méthane, l’élevage intensif contribue au changement climatique. Oren préconise de miser plus souvent sur les protéines alternatives à la place des protéines animales. « Pour que les consommateurs adoptent les protéines alternatives, il faut qu’elles aient l’aspect et le goût du produit original et qu’elles se préparent de la même façon », indique Aviv Oren. C’est possible, comme le montre l’exemple des produits laitiers alternatifs. Aux États-Unis, leur part de marché atteint déjà 16%.

Du lait sans vache

La start-up israélienne Remilk a déjà enregistré d’importants succès dans le domaine des protéines laitières alternatives. Elle utilise un procédé de fermentation de précision pour produire un lait dont l’aspect et le goût ressemblent en tous points au produit original. La fermentation de précision est un procédé connu déjà depuis plusieurs décennies : « Notre procédé de fabrication ressemble beaucoup au principe utilisé pour produire de la bière », explique Ben Adivi de Remilk. Tout commence par une cellule qui est modifiée avec un gène codant la protéine du lait de vache. En ajoutant de l'eau et du sucre, la cellule se multiplie dans des conditions optimales dans une grande cuve en acier. De grandes quantités de protéines laitières se forment. Dans l’étape suivante, elles sont isolées, séchées et transformées en une poudre blanche. Celle-ci peut ensuite être utilisée pour fabriquer n’importe quel produit laitier (lait, yaourt, glace, etc.). « Nous obtenons ainsi un véritable produit laitier sans une seule vache », se réjouit Adivi. « Les produits sont sans lactose et ne se distinguent en rien de l’original en termes de goût. » Autre avantage, l’empreinte environnementale est beaucoup plus faible. Plusieurs fabricants agroalimentaires en Israël et dans le monde ont fait connaître leur grand intérêt pour le lait « sans vache ».

Fermentation de précision

La technique de ciseaux génétiques Crispr-Cas permet d'insérer très précisément et efficacement des gènes provenant d'animaux ou de plantes dans les micro-organismes. Ce faisant, il est possible de renoncer en grande partie aux antibiotiques lors de la culture. Et les ingrédients indésirables comme le cholestérol ou les allergènes comme le lactose peuvent être supprimés lors de l'optimisation des aliments.

« Autoriser les technologies alternatives »

Il n’est pas sûr que les produits de Remilk pourront bientôt être vendus en Suisse. Selon le Coop Plant based food report 2022, le potentiel commercial existe. Aujourd’hui, 27% de la population consomme des substituts d’origine végétale plusieurs fois par mois. Les produits alternatifs ont toutefois la vie dure. En Suisse, les produits laitiers et les fromages font partie du patrimoine. Les consommateurs préfèrent acheter ce qu’ils connaissent. La Swiss Protein Association (SPA) s’engage à créer de meilleures conditions-cadre pour contribuer à l’essor des protéines alternatives. Parmi ses membres figurent de grandes entreprises actives dans la transformation de la viande, comme « Bell Food Group SA » ou « Migros Industrie », qui ont aussi des projets de développement de protéines alternatives.

« Une alternative est synonyme de changement, et cela peut inquiéter. Nous prônons donc un dialogue débarrassé de toute idéologie », rassure Karola Krell de l’association. La priorité est de mieux informer les consommateurs. « Les denrées alimentaires obtenues à partir de produits alternatifs ou qui en contiennent doivent être reconnaissables », argumente-t-elle. La SPA demande aussi que de nouvelles technologies de production soient autorisées. Les cultures de cellules et les procédés de fermentation en font partie. Le développement de denrées alimentaires élaborées avec ces nouvelles technologies est soumis cependant à de sévères normes légales. « Malheureusement, cela entrave aussi l’innovation et les investissements en Suisse dans le domaine des protéines alternatives», regrette Karola Krell.

La consommation de viande n’est pas vouée à disparaître

Dans la discussion qui a suivi, les participants ont tous reconnu que la consommation de viande devrait bien diminuer, mais ne disparaîtra pas complètement. Et c’est bien ainsi. L’élevage est utile en particulier dans les régions où les grandes cultures ne sont pas possibles. Les produits d’origine animale, comme la viande, les œufs ou le lait, contiennent par ailleurs de précieux micronutriments qui sont essentiels à l’être humain dans les pays pauvres. Petra Wigger Klassen de Nestlé l’a rappelé lors d’un récent Swiss-Food Talk. Remilk propose déjà une solution. Grâce à la fermentation de précision, un produit peut être élaboré sur mesure. Il est ainsi possible d’y ajouter des micronutriments à volonté. Des substances plus problématiques (lactose par exemple) peuvent aussi être éliminées. C’est pourquoi le lait «Remilk» peut aussi rivaliser avec le lait de vache original, voire l’optimiser.

Le défi de la fabrication en quantités industrielles

Les omnivores et les flexitariens restent encore largement majoritaires. Ce sont eux qui décideront de l’avenir des protéines alternatives. Lorsqu’un produit leur plaît, la demande augmente et le prix du produit diminue. Pour pouvoir offrir des protéines alternatives à des prix abordables, il faut des procédés de fabrication à large échelle. La production industrielle nécessite de construire des installations qui font une utilisation efficace des ressources, ce qui prend du temps. Pour que l’entreprise réussisse, de meilleures conditions-cadre sont aussi nécessaires. Karola Krell et les entreprises membres de la Swiss Protein Association souhaitent que les autorités suisses se montrent plus courageuses et plus progressistes que la conservatrice Union européenne. Il n’est bien sûr pas question de transiger sur la sécurité. L’étiquetage des produits ne doit pas induire les consommateurs en erreur, mais ne doit pas non plus les décourager d’acheter. La Suisse pourrait aussi s’inspirer de pays tels Singapour et Israël. Comme eux, elle est une championne de l’innovation avec une population dense sur un territoire relativement réduit.

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